Auch. Le Moulias. 18h30. 6 Novembre 2011. « Ca y est, tous les matchs seront en nocture maintenant… », pouvait-on entendre en patientant, que dis-je, trépignant, au pied de la Montagne Marathon, attendant de prendre de la hauteur sur les débats, à l’heure du coup d’envoi… La banale sentence témoigne autant le dépit, de voir le Moulias perdre ses belles couleurs estivales, que l’impatience de revivre encore une fois ces soirées frisquettes, au bord du Gers, où les bêrets noirs remplacent les casquettes, les parkas noires les hauts affriolants, et où le rectangle vert se transforme en chaudron magique, où l’on vient se réchauffer tous ensemble au coin du feu, d’où l’on tire les châtaignes encore brûlantes de l’âtre et que l’on déguste comme une Madeleine de Tonton Proust.
L’affiche, pas besoin de la décrire : Auch-Grenoble au Stade Jacques-Fouroux, la boucle est bouclée, l’Histoire a fait un énième clin d’œil nostalgique aux racines communes aux deux bastions du Rugby Français. Mais aujourd’hui, pas de Petit Caporal, juste des fantassins héritiers. Plus de titre, mais l’appétit reste le même. L’adversaire n’a ni plus ni moins que l’ambition de monter à l’étage supérieur. Le jeune Marvin O’Connor, ailier pourtant doué, décrétera dans les canards locaux que « les entraîneurs nous ont montré à la vidéo qu’Auch n'était par contre pas une grande équipe de mouvements. A nous de nous montrer bons en déplacement pour les mettre en difficulté.». Grenoble, selon lui, vient « à Auch pour l’emporter et marquer le plus de points possibles »… La PRO D2 est définitivement une école de la vie… Ou, encore mieux, le terrain ! Rien de mieux pour rappeler aux dures réalités du combat ! Mais Stendhal, ami du Dauphiné, disait, décrivant la Capitale des Alpes : « Au bout de chaque rue, une montagne »…
Et d’entrée de jeu, la montagne de Stendhal surgit du brouillard : mêlée enfoncée, Auch enchaine et Pierre-Alexandre Dut tire le premier, en plein dans le mille. La première phalange alpine est à terre, mais les renforts ne devraient pas tarder… Les hommes du Général Patat veulent à tout prix s’engouffrer dans la brêche entr’ouverte et créer un appel d’air. Nouveau renvoi, occupation impeccable par du jeu au pied : le chef de la cavalerie PAD voit juste et impose sa stratégie : touche parfaite, maul structuré, deux passes courtes devant la défense, trois feintes bien senties et Erwan Bérot, tel Hannibal ving-et-un siècles plus tôt, réussit sa trouée des Alpes en marquant dès la 9ème minute le premier essai de la rencontre. Le pâle Amiral Landreau et ses vidéos, pourtant au top de la technologie, s’en mord encore les doigts… Corrihons, tel un taurillon, trépigne sur son banc…
La bataille est lancée, la cavalerie Iséroise est enfin arrivée, un peu tard, comme d’habitude : et pour cause, ils avaient apparemment oublié les chevaux à l’écurie du Baron Lesdiguières… La belle équipe, dite « de mouvements » vantée par le fantassin seconde classe O’Connor tantôt, n’aura esquissée de sa classe que quelques vagues mouvements, certes rapides et bien orchestrés par la charnière Senio / Della-Riva. Malgré tout, ils n’auront jamais trouvé le col qui leur aurait permit de franchir la barrière de haute-montagne, dressée par les Gersois. En face, l’engagement primera sur la stratégie : défense solidaire, rendement de haute-volée dans les rucks, tels les soldats Mickaël Eymard, Tau Tapasu et Vincent Campo, au rang d’honneur parmi d’autres. Une seule erreur stratégique au tableau : le choix de la pénalité tentée, suite à trois assauts Gascons consécutifs, sur les ultimes contrefors alpins : une première pénalité, un carton en suivant. Et à 8 contre 7, avec un arbitre cohérent dans sa graduation des sanctions, le centurion Saint-Lary aurait peut-ête pu choisir d’assommer un peu plus les quiquonces Grenobloises, par une mêlée ou une touche : la supériorité numérique et psychologique, sans compter l’imminence d’un essai de pénalisation (on oubliera volontiers l’épisode carcassonnais…), auraient pu permettre de prendre définitivement la Bastille. Non pas celle de la Révolution Française, mais plutôt la citadelle qui surplombe Grenoble, adossée aux contreforts de la Chartreuse, édifée sous l’énigmatique Baron de Lesdiguières, puis Vauban. Mais le terrain, ne l’oublions pas, appartient aux joueurs, et eux seuls peuvent sentir l’état de fraîcheur des troupes à cet instant-là.
Ainsi, les canonniers se répondront au coup par coup, jusqu’à la 72ème minute. Là, coup de théâtre : dans un baroud d’honneur, les visiteurs, par d’inlassables coups de butoirs, feront fissurer la muraille Gersoise. L’arbitre, pourtant au pied de l’action, aura besoin de l’aide de son assistant, posté à 20m, pour valider un sombre, mais valide, sursaut des hommes de Landreau. Revenant pourtant à portée de canons (22-19), les Alpins n’arriveront pas à franchir en tête le 21ème et dernier virage de l’Alpe-d’Huez, ayant perdu la bagarre dès le premier lacet, attaqué au panache par les Auscitains.
La Bastille est enfin Gersoise, la joie aussi. Stendhal, présent dans les tribunes du Moulias, aurait même dit, « Je n'ai pas la force de décrire la vue admirable et changeant tous les cent pas, que l'on a depuis la Bastille... ». Le tableau de chasse s’agrandit, les Gersois sont en ordre de marche, qu’on se le dise !
Les Grenoblois, par cette (nouvelle) défaite non prévue, s’éloignent de leurs rêves, et continueront leur bonhomme de chemin, entre Isère et misère… En leur souhaitant quand même, que leur parcours ressemble davantage à l’Oisans et ses montagnes du Vercors, à l’Ouest, magnifiques, somptueuses, qu’aux contours erratiques de Belledone et de la Matheysine, à l’Est, abandonnées, vaste champ de mines déserté…